Récit d’un voyage pas comme les autres au SENEGAL

 

" Nous sommes 17 français ayant perdu un être cher, et nous voulons comprendre . C’est un pas supplémentaire pour ce travail de deuil
si difficile à faire.
"
écrit Bernadette la soeur de Marcel

Nous sommes enfin prêts à découvrir ce pays, à rencontrer les gens, à voir les derniers endroits que Laurence et Marcel ont vu il y a déjà trois ans.
C’est pour cela que l’on peut parler de pèlerinage…
Cette année, nous faisons une démarche « dans notre tête », de reconnaissance

SANS ne rien espérer
SANS ne rien déclencher
On ne doit pas être déçu…

Nous arrivons.
Kassoumaï Laurence : Bonjour Laurence,
Kassoumaï Marcel : Bonjour Marcel.

Je tiens à remercier Nadine et Alain, sur l’initiative de ce séjour, qui sans leurs connaissances de personnes sur place, leurs dévouements, leurs implications dans ce combat, n’aurait pas pu aboutir. Merci de nous avoir fait mieux comprendre ce pays.

 

 

Mercredi 21 septembre 2005

 Arrivée à DAKAR.
La chaleur est étouffante, suffocation extrême.
Nous sommes logés pendant trois jours au cercle de la rade qui est une force militaire.
DAKAR est une autre planète, nous sommes assaillis de tous les côtés.
La foule du marché est irritante.

Les rues sont un véritable désastre.
Les taxis sont des poubelles ambulantes.
Les voitures sont toutes cabossées.
Certains gens qui vous accostent dans la rue sont malhonnêtes, manipulateurs : on a en fait les frais !
Ces personnes vous donnent un cadeau « empoisonné » afin de vous extorquer quelques Francs CFA.
Ici, on se remet en question, on se dit : mais quelle chance d’habiter en France !

Marcel était un vrai routard et aimait s’intégrer à une population étrangère (culture, religion, coutumes…) afin de mieux comprendre. Ici il y a une multitude de choses à intégrer, à mieux comprendre…

C’est un pays déroutant, révoltant.
C’est la loi de jungle ici !

Le jour même, nous sommes allés d’un pas pressé voir l’endroit où le JOOLA aurait du accoster à DAKAR.
Quelle désillusion, quelle misère cet embarcadère. Nous sommes ce premier jour profondément déçu, totalement dépaysé.
Quelle insécurité dans cette capitale !

 

Jeudi 22 septembre 2005

Direction l’Océanium géré depuis de nombreuses années par Haïdar.
Cet homme se bat pour la survie de l’écosystème et il est toujours présent pour aider son proche.
C’est un plongeur au grand cœur.
Ce jour là, il a reçu toutes les familles pour nous expliquer les jours qui ont suivit le naufrage.
A lui seul il a récupéré plus de 250 corps !
Son témoignage nous a tous bouleversés, brisé…
Je ne peux rien écrire, rien filmer, je garde ce secret pour moi…
Tout le monde est captivé, veut comprendre, le bombarde de questions…
On boit ses paroles.
On veut se reconstruire, c’est le but de ce voyage.
On veut reconstruire le « puzzle » de la tragédie du JOOLA.

 

Vendredi 23 septembre 2005

Nous avons rendez-vous à l’ambassade de France pour préparer nos visas pour se rendre en Gambie.
Trois heures d’attente pour obtenir ces visas !
Tout était déjà programmé !
On se rend compte de la lourdeur du système administratif de ce pays.
L’après-midi, nous sommes arrivés au « Just for You », un restaurant grand standing pour la conférence de presse organisé par Nassardine Aidara (père qui a perdu ses enfants et a écrit aux victimes du bateau le JOOLA L’hommage d’un père) et l’AFV JOOLA.
Cette conférence avait pour but de comprendre et d’expliquer ce combat de toutes les familles :
« Depuis déjà trois ans, par la faute de l’homme, le JOOLA a emporté nos enfants, nos parents, nos amis. »
« Depuis trois ans, beaucoup de questions restent sans réponse, ce qui empêchent les familles de ces milliers de disparus de commencer leur deuil »
« Nous ne comprenons pas qu’il soit possible, lorsque enfin il arrivera, qu’un autre bateau puisse, en naviguant au-dessus de l’épave le JOOLA, piétiner les victimes toujours présentes au fond de l’océan, dans le JOOLA, tel quelqu’un qui marcherait sur les tombes d’un cimetière. Le JOOLA est à moins de 20 mètres de fonds, à moins d’une heure de pirogues des côtes. Pourquoi l’Etat du Sénégal refuse-t-il toujours de procéder au renflouement ?

Samedi 24 septembre 2005

6H00 départ pour la Gambie en car
Quelle galère !
550 Kms en 15 heures !
Première panne : changement d’une roue.
Deuxième panne : problème de freins.
Troisième panne : le car qui s’embourbe dans une rue.
En un seul mot : ahurissant !
Tout cela nous fait réfléchir : On a les mêmes galères, on se trouve sur le même chemin que nos proches. On commence à connaître ce pays. C’est l’afrique.
L’Afrique apporte son lot de péripéties qui, selon chacun, la vision de chacun, devient drôles ou irritantes.
Ces mésaventures peuvent très vite se transformer ici en un véritable danger.
C’est l’Afrique !

Dimanche 25 septembre 2005

Arrivée à Ziguinchor, ville où les passagers embarquaient dans le JOOLA pour rejoindre DAKAR.

J’ai vu l’embarcadère du JOOLA, l’hôtel où Laurence et Marcel ont passé leur dernière nuit : le Flamboyant.
J’ai rencontré les dernières personnes qui les ont côtoyés.
Donantine : Personne adorable, prête à tout donner, son prénom le prouve déjà. Elle s’occupe du camp d’Affiniam, où ils ont passé la nuit avant le drame.


Samba Faye : Guide piroguier de l’hôtel.
Celui-ci nous raconte en détails leurs périples de trois jours en pirogues, en mobylette. Ca me fait un bien fou de savoir ces moments heureux, ces derniers moments avant le drame.


Le village de Koubalan était l’endroit préféré de Laurence et Marcel.

 

 

Lundi 26 septembre 2005

Déjà trois ans que vous avez foulé le sol sénégalais, déjà trois ans que vous avez pris ce « putain de bateau » !
10H00 : Nous arrivons au Cimetière de Kantène à Ziguinchor où 25 tombes ont été fraîchement peintes de la veille.
Aller-retour sur place, les soldats sont présents, « huilés » comme des robots dans leurs gestes, en attente des grandes autorités.
Et voici que la grande délégation déboule, arrivant « en grande pompe » dans leurs luxueux 4X4 klaxons et sirène à fond.
C’est incorrect et dérangeant pour la venue dans un cimetière, pour communier, pour réveiller nos proches.
L’après-midi rendez-vous donné avec M. WADE pour son discours devant le remplaçant du JOOLA : le WILIS.
Ils mettent vraiment tout en œuvre pour oublier le JOOLA.
M. WADE énumère tous les efforts pris après le naufrage :

  • indemnisation des familles, fournitures scolaires pour les orphelins, cadeaux de Noël
  • Mise en place d’un tunnel sous la Gambie !

Strictement aucune information sur le JOOLA, c’est du passé…
A dix mètres de moi, sa femme, M. WADE, me regarde.
Je suis là, je filme, je les fusille du regard.
Ils ne m’ont pas oublié depuis mon entrevue il y a trois ans avec eux à Clermont Ferrand.
A la fin de cette cérémonie, le protocole me demande si je souhaite avoir une entrevue avec M. WADE.
Est-ce que vous vous souvenez de moi ?
OUI.
Maman sans aucune parole leur met sur la table la photo de Laurence et Marcel…
On n’est pas diplomate, tout a été spontané.
Ça venait du cœur, non plutôt de notre rancœur avec strictement les mêmes attentes depuis trois ans déjà :

  • renflouement du bateau
  • identification des corps sur les différents cimetières
  • récupération des objets personnels restés dans le bateau

Pour certains cet entretien, il ne fallait pas et surtout pas sur ce nouveau bateau qui doit faire oublier l’autre " putain de bateau" .
Que je sache, nous avons fait plus de 6 000 Kms tout le groupe pour communier avec nos chers disparus et en aucun cas nous sommes ici pour faire de la politique.
J’avais besoin de revoir cet homme, de le regarder de nouveau dans le plus profond des yeux, et lui faire comprendre qu’il me dégoûte.
Votre promesse voilà trois ans de sortir ce « putain de bateau ».
Cet entretien a duré trente minutes, je suppose, mais je n’en dirais pas plus ici car TOUT me dégoûte, et le personnage me dégoûte plus que tout.
Je garde cet entretien pour moi. Nous avons toujours les mêmes attentes et rien n’a été entrepris. J’arrête. J’ai la haine envers ce pays ... Non, en fait j'ai la haine envers les dirigeants de ce pays et envers cet homme…

La journée a continué sans les hautes autorités, à comité restreint pour se retrouver et communier et non célébrer un autre bateau.
L’après-midi, une messe était donnée dans la cathédrale de Ziguinchor.
Magnifique, la chorale était un délice pour les ouies !
Pèlerinage de l’église à la stèle érigée par la mairie de Ziguinchor.

Tout au long de cette marche, Maman donne la main à Donantine, la dernière personne qui a embrassé Laurence et Marcel.
Cette journée du 26 Septembre 2005 a été très forte, trop forte en émotion.
Que de mauvais souvenirs qui rejaillissent ! La plaie est bien là ! Le travail du deuil continue…

 

Mardi 27 septembre 2005

9H00 du matin départ vers la paroisse du père Jean Bernard à Diouloulou où la téranga (hospitalité) est appréciable chez lui. La population même est gaie, communicative, accueillante. Quelle joie de vivre !

Toute la population nous a suivi ainsi que sœur Bernadette, vers une simple église de Niafrang pour communier.

Cette église, se trouve à quelques pas du cimetière de Kabadio, au fin fond de la Casamance, dans un endroit calme, loin de la misère, des malhonnêtes, de cette civilisation corrompue…

Ici, c’est un havre de paix.
Le village a lui-même perdu 143 personnes.
Ensuite, de la messe, escortés par les oiseaux, portés par cette nature abondante, nous nous sommes rendus à ce cimetière.
De source sure, il y a 3 ou 5 blancs enterrés ici.
Ca fait très mal de le savoir et voir que rien n’est fait.
Je souhaite de tout cœur que Laurence et Marcel reposent loin de tout dans ce havre de paix…

Après direction l’école de Birassou où une œuvre humanitaire nous attend, car depuis octobre 2003 l’Association des familles des victimes France s’est impliqué dans la vie de l’école.
Nous sommes une fois de plus très bien reçu par quelques danses de l’ethnie Diola, nous faisons don de fournitures scolaires, et nous voici repartit avec leurs offrandes de la saison (fruits, légumes).
Faisons un petit rappel des différentes ethnies de la Casamance :
Diola / Wolof/ Mandjiack / mankagne / balante / Baïnouck / sérère / mandingue / Peulh / etc.…
Le soir, nous sommes arrivés à Banjul (capitale de la Gambie), où M. MOREL responsable de l’ambassade de France dans ce pays, nous a reçus pour un interview avec la radio RFI.
Interview qui a eu pour but d’expliquer le pourquoi de notre présence.
Ça me lasse tous ces « bla-bla ».
C’est un jeu de pions avec comme participants  : président, ambassadeur, ministre, conseiller, etc.…, la presse, la télévision, qu’il faut placer à nos côtés, qu’il faut essayer de déplacer habilement, courtoisement pour arriver à notre seul et simple objectif de savoir où se trouvent nos proches, de les identifier, afin que cette plaie se referme, pour laisser place enfin au dernier point vainqueur de tous ces enjeux politiques : le travail du deuil. Notre démarche est psychologique…
Au cimetière de Kabadio, on était près de nos proches, on est encore loin d’avoir des réponses à nos interrogations auprès des autorités sénégalaises, gambiennes.
Après trois ans, on commence à se faire une raison.
C’est si simple à penser que là, dans ce cimetière de les sortir, de les identifier, de les ramener enfin à la maison.
C’est si compliqué politiquement.
J’ai la haine ...

 

Mercredi 28 septembre 2005

Oh ! Larmes
Oh ! Désespoir
Oh ! Pauvres âmes englouties
Pourquoi êtes – vous endormies ?
Quel est ce démon qui a pris vos vies ?
Nous sommes partis en petit voilier ( la France ne nous aide toujours pas) pour aller ce matin sur les lieux du naufrage ; aux environs car trop de distance pour notre embarcation. Par manque de temps, nous étions à 30 Kms du JOOLA mais peu importe le spectacle était insupportable et suffisant.

Ils ne pouvaient pas s’en sortir !
Quelle immensité l’océan !
Que c’est calme !
Puis on s’imagine ici la panique, les cris, les appels, les corps…
De par cette immensité, soyons réaliste, les rescapés ne pouvaient pas seuls s’en sortir à 25-30 Kms des côtes en pleine nuit.
A cause des hautes autorités, de par cette faute grave de conséquences, il y a eu non-assistance de personnes en danger.
Chacun de nous a jeté des gerbes de fleurs dans l’eau. Que d’émotions ! Ça m’a fait du bien…
Le soir, on se dirige vers l’alliance franco-gambienne où M. MOREL a convoqué les acteurs principaux gambiens de l’après-JOOLA :
La croix rouge, les médecins légistes, …
Par exemple, Nadia KONIO anesthésiste à l’hôpital de Gambie a pu examiner 20 européens.
Où sont passés ces dossiers, les photos, où sont les corps ?

On se fait mal !

On veut comprendre !

On pose des questions !

J’arrête, je m’écarte, j’écris…

On veut se reconstruire, on veut reconstruire le « puzzle » du JOOLA. Ici, c’est un « petit bout de chemin » que chacune des familles effectuent. On se soigne mutuellement. On se réconforte. On panse nos cicatrices.

 

Jeudi 29 septembre 2005

 

Nous nous sommes rendus, aidé par Moussa un transitaire au port Gambien, au village de Batakounkou devant une mosquée. Moussa était l’interprète des différents dialectes rencontrés.

Autour de ce village, sur un secteur allant de Tanji, Sagnan, Kuruba bodian, Kaiamo bodian, c’est là que la mer avait trop mangé, trop avalé de corps, de choses. Elle les a rejetés. Le nombre des morts est incertain mais les yeux des villageois remplis de tristesse sont là devant nous prêts et désireux de tout nous expliquer dans les moindres détails. Ils nous comprennent et veulent nous aider.

Toujours les mêmes questions qui reviennent :

  • Combien de corps ont échoué ici ?
  • Comment se sont passés les secours ?
  • Où les avez – vous enterré ?
  • Comment étaient – ils ?
  • Combien de blancs ?

On s’accroche, on se fait mal !

Moments forts, témoignages poignants, émouvants.

 

Je tiens à remercier les témoins de l’impensable : les chefs des différents villages, les responsables des pécheurs, les piroguiers ainsi que le responsable du ministère de la pèche qui nous ont expliqués l’après – JOOLA.

Ils ont eu tous un rôle très important pour tous ces « corps échoués comme de simples poissons ».

Pour finir, dans un tel désastre, il n’y a pas de religion, il n’y a pas de couleur de peau : nous avons tous communié dans la mosquée.

 

L’après – midi direction le cimetière de Bassori où la plupart des corps de ces villages ont été enterrés.
C’est une fosse commune avec plus de 500 corps dont 3 Européens !
Tous enveloppés d’un plastique et d’une couverture.
Beaucoup d’émotions encore.
Beaucoup de révélations.
Le soir de retour à l’hôtel, le groupe Batiyaye qui aurait du prendre ce dernier voyage du JOOLA, ont dansé pour nous par des chants traditionnels.

On a dansé avec eux.
Cela a traduit une complète communion de nos deux cultures…
L’Afrique rime avec musique, mais aussi avec fric : ce moment de détente nous fait oublier un instant que la vie est misérable.

Vendredi 30 septembre 2005

 

Avant d’arriver sur Dakar, nous décidons de voir le cimetière de Mbao.
Cimetière de la honte qui est tout à fait à l’image de l’intérêt du gouvernement dans le dossier du JOOLA.
Cela peut – il exister ?

Aucun entretien des tombes, des allées, de l’entourage.

Abandon total.

Aucun nom n’apparaît, que de simples numéros.

Aucune stèle.

Ça me révolte, je « boue »…

 

Samedi 01 octobre 2005

 

Journée libre à Dakar avant le départ où les dernières affaires vont comme de coutume se marchander (le Wakhalé).
Ici, toutes les relations tournent autour d’un même thème : l’argent.
L’après – midi, la parole commence à me revenir, je veux rentrer dans mon pays.

La vérité existe au-delà des montagnes, pour la connaître, il faut voyager. (Proverbe sérère, Sénégal).

Là – bas, nous avons enquêté, nous avons compris ce qui s’était passé et surtout ce qui aurait pu être fait (sauvetage, identification).

Les personnes rencontrées, les prises d’adresses sont une multitude d’informations MAIS combien de ces multitudes de ficelles faut – il pour déclencher la corde raide des hautes autorités ?

Avant, TOUT était abstrait, maintenant la réalité m’appartient. Ce pèlerinage a été plein d’émotions mais bénéfique. J’ai très avancé dans le travail du deuil…

J’ai compris beaucoup de choses, le JOOLA n’est pas une fatalité mais tout simplement la finalité de leur civilisation. Ça ne devait qu’arriver un jour ou l’autre…

Pour qu’un jour les responsables soient coupables, il faut rester patient mais déterminé.

 

Nioungiden les amoureux,

Au revoir les amoureux,

Je ne vous oublierai jamais…

 

 

Stéphane

 

 

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