Article daté du 21 Novembre 2002

L’affaire du " Joola " s’internationalise

La clameur qui a suivi le naufrage du Joola a retenti sur toute la planète. Après s’être glorieusement fait connaître du globe par les performances des Lions à la Coupe du Monde, le Sénégal crevait à nouveau les écrans, les colonnes et les ondes, mais tristement cette fois. L’Afrique connaissait son " Titanic ".

Les Sénégalais de la diaspora s’inquiétaient pour leurs parents et amis. Les amis du Sénégal pour la Casamance. Les citoyens de divers pays pour leurs parents voyageant à bord du Joola. Ceux-là ont désormais sort lié avec le Collectif des familles des victimes du Joola.

La question du remorquage du bateau Le Joola suscite des réactions au-delà de nos frontières. Comme si le centre de gravité de l’affaire " Joola " s’était déplacé à l’extérieur du pays, les Français organisent un concert pour financer l’achat d’un nouveau bateau. Les Sénégalais des Etats-Unis organisent leur solidarité et soutien aux familles. Les familles de victimes hollandaises portent la question du remorquage du Joola devant leur Parlement. Elle a ainsi fait l’objet de questions écrites devant le Parlement hollandais. Les députés de ce pays incitent leur gouvernement à aider l’État du Sénégal pour remorquer le bateau qui se trouve encore dans l’océan faute de moyens techniques pour son renflouement. Voici la teneur des débats et la lettre envoyée au ministre des Affaires Étrangères des Pays-Bas par le frère cadet de deux victimes hollandaises, Roel et Lisette, qui ont péri dans le naufrage.

L’affaire évoquée devant le Parlement hollandais

Un député néerlandais interpelle son gouvernement. Extrait.

Question : Êtes-vous au courant des progrès du renflouage du navire sénégalais " Le Joola " qui a sombré dans la nuit du 26 au 27 septembre dernier, naufrage qui a fait de nombreuses victimes, parmi lesquelles deux personnes de nationalité néerlandaise?

Réponse du ministre 1

Oui. Le déroulement de cette affaire est suivi de très près en raison des intérêts des proches parents des deux victimes néerlandaises.

Question : Êtes-vous disposée, éventuellement en collaboration avec vos homologues à aider au remorquage du navire?

Réponse du ministre 2

Oui.

LETTRE AU MINISTRE NEERLANDAIS DES AFFAIRES ETRANGERES*

Comment les Pays-Bas apprécient le renflouage du navire

Je saisis l’occasion qui m’est offerte d’exprimer quelques réactions et remarques importantes sur les réponses données par Mme Van Ardenne – van der Hoeven aux questions du député Koenders relatives au renflouage du " Joola " et des victimes encore prisonnières de l’épave.
L'argument selon lequel des questions culturelles et religieuses feraient obstacle au renflouage est erroné. Pendant notre voyage, nous nous sommes entretenus avec des représentants de l’Association régionale des familles des victimes du bateau " Le Joola-Ziguinchor ". Cette association compte 700 membres, ses dirigeants ont été élus et elle dispose de statuts et d’un règlement interne.

Elle emploie des avocats dans tout le pays, dont la mission est entre autres d’exiger des dédommagements de la part du gouvernement au profit des proches parents des victimes.
Toutefois, la principale préoccupation de ces proches parents, en grande majorité des musulmans, est d’obtenir le renflouement du navire et l’inhumation des victimes. Ce ne sont pas les aspects religieux ou culturels qui sont ici déterminants, mais les aspects humains.
(…) La concertation qui eut lieu entre un conseiller spécial du président Wade, et l’ambassadeur Van Aggelen révéla ce qui suit. Le président Wade avait ce même jour, pour la première fois après la catastrophe, déclaré publiquement avoir l’intention de faire renflouer le " Joola ". Cette catastrophe serait une tragédie pour tout le pays ; les considérations d’ordre politique ne devraient pas entrer en jeu.

Le conseiller a, à cette occasion, affirmé qu’un soutien financier et technique était bien nécessaire (…). L’ambassadeur Van Aggelen a indiqué qu’il fallait que le Sénégal adresse à cet effet une requête au gouvernement néerlandais et à l’Union européenne et que la demande porte sur un projet de cofinancement. (…) Le principal problème du Sénégal est de savoir comment le faire.
Le président Wade est une personne qui souhaite faire prévaloir la propre initiative et les propres forces de son pays. En tant que " donor Darling** ", le Sénégal est connu pour l’aide considérable que le pays reçoit de la part de l’étranger et le président souhaite changer cette situation. Cette volonté a toutefois pour conséquence de retarder la décision relative au renflouage.
Il est vrai, comme l’indique monsieur Nielson, que l’identification est difficile dans de telles circonstances. L’envoi d’une mission d’experts néerlandais pour " tenter d’identifier des corps autour du Joola " n’a par ailleurs jamais été à l’ordre du jour.

(…) Le fait que cette équipe ait parfois été gênée par les " autorités " est davantage lié à des problèmes d’organisation qu’à une volonté délibérée. Jusqu’à présent, une seule équipe de plongeurs a été active dans le cadre de la récupération des corps des victimes, aussi bien autour qu’à l’intérieur de l’épave du " Joola ". Il s’agissait d’une équipe de plongeurs sénégalaise qui a déjà réussi à remonter le nombre impressionnant de 260 corps. (…)

Avec un matériel de meilleure qualité, a indiqué le conseiller, les opérations pourraient reprendre.
Dans sa lettre adressée au Parlement européen, monsieur Poulson parle de " spécialistes " qui ont pu voir l’intérieur du " Joola ". Ces personnes ont déclaré qu’il ne restait plus grand chose des corps. Cela est également inexact. (…) Une tentative a ensuite été faite de remorquer le navire jusque dans les eaux territoriales sénégalaises. Au cours de cette tentative, le navire s’est échoué sur un banc de sable.

Lorsque nous avons voulu nous rendre près du " Joola " dimanche dernier, il s’est avéré qu’aucune des autorités ne pouvait indiquer avec précision la position de l’épave. (…)
Il reste maintenant deux options : 1) remonter tous les corps, avant le renflouage du navire, à l’aide de plongeurs et procéder à une identification individuelle ; 2) si la première option n’est pas réalisable, inhumer les dépouilles mortelles (…) après le renflouage du navire : le président Wade a déjà indiqué qu’il mettrait des tombes à disposition.
La catastrophe du " Titanic africain " est un problème international qui n’affecte pas seulement les Sénégalais mais également des personnes de Guinée-Bissau et de Gambie ainsi que des citoyens européens de Belgique, de France, d’Espagne, de Norvège et des Pays-Bas. Il s’agit de la plus grande catastrophe de ce genre dans l’histoire de l’Afrique. Aucun pays du monde n’est en mesure de réaliser seul un tel renflouage.
A l’heure actuelle, il s’agit d’offrir une perspective au président du Sénégal. Les équipes d’intervention européennes peuvent aider la " RIT " sénégalaise dans la récupération des corps des victimes. Je souhaite demander au ministère néerlandais de l’Intérieur de réaliser à cet effet une étude de faisabilité à très court terme.
Je souhaite donc attirer l’attention sur les points suivants : 1) Les motivations d’ordre religieux ou culturel ne jouent aucun rôle pour les parents des victimes sénégalaises ni pour le président ; seuls les aspects humains comptent (source : entretien entre notre famille et l’AFV-Joola ainsi que le conseiller spécial du président, et l’ambassadeur Van Aggelen).
2) Le Sénégal souhaite soit identifier toutes les victimes individuellement soit inhumer les corps (…). Le Sénégal se pose maintenant la question de savoir comment y parvenir. (…) La solution passe par la coopération internationale entre les pays d’Afrique occidentale et l’Union européenne, d’un point de vue financier en faisant appel à l’ECHO, l’aide d’urgence néerlandaise et éventuellement l’UNDP (Ndlr : le Pnud) et d’un point de vue technique avec l’aide des "RIT" africaines et européennes.
3) L’aide d’urgence est justifiée dans le cas du renflouage du " Titanic africain ", la plus grande catastrophe marine de l’histoire de ce continent, parce que : a) les activités des plongeurs et de l’équipe de renflouage sont très dangereuses, b) le Sénégal a perdu un capital humain considérable parmi sa jeunesse (étudiants), c) ne pas renflouer le navire ferait encore augmenter les tensions dans la région de Casamance (le sud du pays), où sévit la guerre depuis vingt ans, d) de nombreux soutiens de familles ont disparu en laissant leurs proches dans la plus grande nécessité, e) cette tragédie a fait de nombreux orphelins dans la région de Casamance, privés d’aide et d’accueil (selon l’AFV-Joola), et f) parce que les proches parents des victimes, musulmans et chrétiens, souhaitent que leurs adieux aux personnes qu’ils aiment aient lieu dans la dignité. Cela serait possible en faisant en sorte que des funérailles aient lieu.
4) Est-il possible pour la direction de la lutte contre les catastrophes du ministère de l’Intérieur de réaliser à très court terme une étude de faisabilité de l’apport d’une aide technique par les diverses " RIT " et organisations de plongeurs européennes (prenez par exemple l’entreprise offshore norvégienne DSND qui a participé à la récupération des corps des 116 victimes du Koersk) à la " RIT " et à l’équipe de plongeurs du Sénégal, qui ont réussi à remonter 260 corps dès les premiers jours de leur intervention ? 5) Le Sénégal ne bénéficie d’aucune aide au développement de la part des Pays-Bas. Non pas parce que le Sénégal ne satisferait pas aux trois critères (degré de pauvreté, bonne administration et bonne gestion financière) mais parce que ce pays reçoit déjà une aide de la part d’autres pays (un quatrième critère ?). Comme il l’a déjà été dit, dans le cadre du 9ème Fonds européen de développement, un montant de 203 millions d’Euros est attribué au Sénégal. Ces ressources sont entre autres destinées à financer une " amélioration des transports et de l’infrastructure ". Le rétablissement de la liaison maritime entre Ziguinchor/Karabane et Dakar revêt une importance (économique) considérable pour la région de Casamance, au sud du Sénégal, ainsi que pour le pays en général : voyager en traversant trois pays est dangereux et passer par la Gambie est pratiquement impossible. Le renflouage du " Joola " pourrait être financé à partir de ces fonds de subvention : il s’agit en effet de rétablir une voie de communication et le navire est bloqué sur un site présentant des dangers pour les bateaux de pêche sénégalais et les autres liaisons maritimes. En outre, le Sénnotice de Hollande sur Joola.ems égal a lui-même annoncé que le renflouage du " Joola " faisait partie de ses priorités.

Des funérailles dans la dignité constituent pour chaque individu un droit fondamental. Les Pays-Bas, qui présideront l’an prochain le Conseil de l’Europe ainsi que l’OCDE, ont toujours joué un rôle moteur dans la défense des droits de l’homme. Nous souhaiterions de tout notre cœur pouvoir inhumer Roel et Lisette, comme tous les autres parents souhaitent le faire pour leurs proches disparus. Les possibilités sont désormais réunies. Il faut tendre la main au président Wade, et cela est possible en envisageant la réalisation des solutions susmentionnées. Je ne dirai jamais assez à quel point votre soutien nous est précieux. (…)

Marnix Arendshorst
Frère cadet de Roel et Lisette

*Monsieur De Hoop Scheffer, ministre
des Affaires Étrangères.

** Enfant chéri des bailleurs de fonds

 

 

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